Accoudée au bar

L'odeur caratéristique de ces lieux où l'on buvait tout ce qui nous passait sous les lèvres emplissait la salle. Ce n'était plus dérangeant depuis bien longtemps. Ou peut-être ne l'avait-ce jamais été. Elle avait l'impression d'avoir toujours vécu dans l'odeur de crasse, d'alcool, et de poussière. Alors ce bar, qu'elle fréquentait régulièrement, lui paraissait presque familier. Une autre maison. Le bruit, non plus, ne lui posait pas de problème. Il y avait toujours eu du bruit dans le palais de Bokrus. Il était différent, oui. Ici, il était libre, plein de joie, qu'elle soit fausse ou vraie, cela n'avait aucune importance. A Bokrus, les endroits étaient remplis de murmures qui résonnaient le long de tous les murs, de sorte que, les secrets ne semblaient jamais secrets. Mais ce n'était qu'un illusion. Simplement un écho de mots. On se disait partout la même chose. On se répétait souvent les mêmes histoires, pour s'endormir la tête tranquille. On voulait tous croire aux mêmes rêves.
D'un mouvement de tête, Lyra se débarassa de ses souvenirs. Un peu comme on se débarasse d'un mauvais rêve qui vous a poursuivit toute la nuit. Mouvement qui eu pour effet de dégager ses yeux de ses mèches rouge et noires. Elle papillona un instant, comme si elle devait se réhabituer à la lumière. Son regard revint rapidemment du vide qu'elle fixait, et se reporta sur son verre qui venait d'attérir sur le comptoir, rempli. Confortablement installée, sa jambe gauche se posa délicatement sur la droite, faisant claquer son arbalète contre son poignard, tous deux accrochés côte à côte sur sa ceinture. Ses oreilles étaient occupées à écouter les paroles inintelligibles d'un chant de beuverie qu'un ivrogne s'acharnait à chanter. Enfin, à écorcher, plutôt. Mais plus rien de ce qui se disait ici semblait compréhensible. Même deux phrases accolées n'avaient aucun sens. Seul le barman paraissait encore en bon état. C'était ici qu'elle semblait se plaire, là où personne ne semblait assez apte à s'opposer à quoi que ce soit. Là où finalement, ils se ressemblaient tous, et où elle avait soudain, allez comprendre comment, trop de coeur pour haïr tous ces êtres complètement saoûls. C'était bien le seul moment où tous les êtres qui peuplaient ce monde se ressemblaient. Dans l'idiotie la plus complète. Alors oseriez-vous tuer un être stupide ?
Ce n'était certainement pas son état d'aujourd'hui. Du moins, pas pour le moment.

Lyra fit pivoter son tabouret de bar et se retourna pour voir le spectacle qui se donnait. Rien de plus pitoyable. Verre de gin en main, sourire moqueur aux lèvres, la jeune femme ne fit aucun commentaire. Elle, elle n'était que rarement saoûle, déjà parce que la prudence le lui interdisait, mais en plus parce que la boisson ne lui offrait plus vraiment le plaisir de s'oublier. Alors, elle se contentait de boire, en attendant que le temps passe. Pour le moment, c'était une période de vide, sans histoire. Sans contrat. Comme si tout le monde avait décidé de s'aimer. Dans ce monde, c'était obligatoirement impossible. L'amour n'avait plus aucune raison d'exister, et peu de monde connaissaient encore sa signification. Valeur de mythe.
Ses yeux bleux profonds firent un tour rapide de la salle, mais personne ne retint son attention. Même sa tête semblait avoir perdu de la valeur. Alors, sa main arrêta de faire tourner la boisson qui se tenait docilement dans le verre qu'elle avait en main, et Lyra se décida à boire une première gorgée, vu qu'il en viendrait sûrement d'autres par la suite. Comme tous les jours.

[ Mam'oiselle Jane, j'vous z'en prie ]

Visious Nombre de messages : 14 Date d'inscription : 28/11/2007

Ce fut d'un pas plein d'assurance que la petite Jane entra dans le bar. Ne connaissant pas très bien Mycros, elle choisit cet établissement comme elle aurait pu en choisir un autre mais voyant que la "fête" battait déjà son plein, la visious se réconforta dans son choix. Et heureusement que les ivrognes se trouvaient trop occupés à tenter de garder leur équilibre et ne pas renverser trop de verres car Jane aurait peut-être trop attiré l'attention. Des gens comme ça, on en rencontre surtout à Durgal et il est difficile de comprendre qu'est-ce qu'un riche fait dans un bar miteux en début d'après-midi, surtout quand on a déjà quelques verres dans le nez.

Sa longue robe d'un bleu royal entrainant dans son sillage des copeaux de verre, Jane tenta de se faufiller entre les tables pour atteindre le comptoir avec le moins d'encombres possibles mais elle dû quand même pousser un homme qui s'était mis en tête de chanter. Enfin arrivée à destination, elle tira vers elle un tabouret sur lequel elle s'assit non sans peine et déposa sa bourse sur le comptoir pour retirer ses petits gants de velour. La femme assise à sa gauche attira son attention et elle se mis à la regarder sans aucune sorte de discretion avec un sourire béat et un air ébété, un peu comme un enfant hypnotysé par une confiserie ou un magasin de jouets. L'écossaise admirait en réalité la chevelure de sa voisine qu'elle trouvait superbe de part sa couleur peu commune et qui contrastait tellement avec le bleu de ses yeux. Elle en oublia le barman...

- Heu, un cognac, je vous prie... demanda-t-elle visiblement très gênée et prise d'un intéret soudain pour sa bourse qu'elle tripotait.

Tandis que la peau blanche de ses joues prenait peu à peu une teinte rosée, Jane but une gorgée de son eau-de vie comme s'il s'agissait d'eau et sans oser regarder à sa gauche. Bien sûr que la fille à la magnifique chevelure l'avait remarquée et bien entendu, elle avait dû trouver Jane complètemment stupide.

Jane s'aventura tout de même à regarder du coin de son oeil mordoré l'objet de sa fascination et en voyant l'arbalète et ce qui lui semblait être un poignard, elle se demanda si elle venait pas de commettre une grosse gaffe. Certes Jane est une démone, mais ses pouvoirs ne lui permettent absolument pas de se défendre contre qui que se soit, même un simple être humain.

La démone but le reste de son cognac cul-sec et en demanda un autre, histoire de se motiver au cas où elle devrait faire face à une quelconque agression envers sa personne. En y réfléchissant mieux, boire n'était certainement pas la meilleure des solutions mais c'était la seule chose qu'elle pouvait faire en attendant une réaction de la fille à sa gauche.

Ce fut d’abord une tache bleue, entr’aperçue du coin de son œil. Instantanément, son attention fut attirée. Quelqu’un qui marche droit, ici, à une heure pareille ? Le sourire moqueur de Lyra s’échappa, et la main qui tenait son verre retomba sur ses jambes. Tranquillement, le coin de l’œil continuait à l’observer. Cette femme avait l’air d’une biche perdue dans un monde de débauche. Ses doigts tapotèrent le verre dans un geste mécanique, et le cuir de ses mitaines noires frotta contre sa peau dans une sensation réconfortante. Dans ses longues bottes noires, ses doigts de pied se seraient presque mis à s’agiter. Presque. Ne pas montrer un signe de nervosité. Il était sûr et certain qu’une femme habillée d’un bleu aussi prestigieux n’avait rien à faire dans un tel endroit. Un bar miteux, où les gens s'entêtaient à boire jusqu’à ce qu’ils n’en peuvent plus. Au delà du vomissement. Au delà de l’oubli.

La femme s’installa à ses côtés, et, bien avant le regard insistant, Lyra entendit les pièces d’or tinter. L’appât du gain. Il aurait été si facile de lui dérober ses pièces et de s’en aller. Mais ce monde était peuplé d’apparences trompeuse. Un monstre pouvait très bien apparaître à la place de cette femme. Prudence. Lyra continuait à fixer devant elle l’homme qui chantait, l’air de rien, reportant son verre à la bouche. Le verre claqua vaguement contre un de ses piercings. Aucune tactique était en train de s’élaborer, loin de là. La seule question qui se posait était : "Est-ce une cliente tout à fait normale, ou le travail reprendrait-il ?"
Elle commanda un cognac. Un cognac qu’elle but d’un coup, d’après ce qu’elle voyait du coin de l’œil. En voilà une qui avait l’habitude de boire. En temps normal, après un verre de cognac bu cul-sec, nombreux sont ceux qui voient leur tête tourner au point de s’écrouler au sol, rire gras en bouche. Seulement, la femme en commandait un de nouveau. D’un certain côté, c’était intéressant. Cependant ça lui faisait une belle jambe de savoir qu’une inconnue avait la descente facile.

Devant réagir face à la curiosité de cette femme, puisqu’il le fallait bien, Lyra tourna à moitié la tête. Pas complètement, non, ç’aurait voulu dire qu’elle était intéressée par ce qui se passait. De ses opales bleues, la jeune femme fixa l’inconnue, et se rendit compte pour la première fois de sa nature démoniaque. Lyra avait assez de connaissance dans le domaine pour savoir, comme pratiquement tous les habitants de cette planète, que dcertaines races de démons possédaient un, ou deux, œil doré. Alors, la jeune femme arqua un sourcil, sans rien dire, son verre encore dans sa main. Dans le pire des cas, le briser sur la tête de l’autre pouvait être une éventualité. Pas un mot n’avait été dit. Ni soupir, ni gémissement d’impatience. Seulement tout son être, son attitude, son regard, transpirait la question qui soutenait ce moment. La question qu’elle ne prononcerait pas. Ses lèvres ne poseraient pas cette question. Cette simple question. Ce "Quoi ?" muet.

Visious Nombre de messages : 14 Date d'inscription : 28/11/2007

Jane commençait à sentir ses oreilles s’échauffer à force d’ingurgiter son précieux nectar. C’est qu’elle ne se sentait pas très à l’aise à côté de cette demoiselle aux cheveux flamboyants, et elle compensait sa nervosité en buvant discrètement des gorgées de plus en grandes d’alcool. La démone avait envie de lui adresser la parole mais elle avait peur que sa joie béate ne finisse par déranger sa si intéressante voisine.

Finalement, ne sachant bien que faire pour entamer la discussion, Jane se racla la gorge que le cognac avait asséchée et se rassit sur la jambe droite, laissant la gauche pendre lamentablement de l’autre côté de banc. La petite ne se sentait vraiment pas confiante, d’autant plus qu’elle sentait l’attention de la rouquine se poser sur elle.

Et puis, en une fois, ayant rassembler tout son courage, elle se retourna vers la droite et essayer d’entamer la conversation.

- Heum... Puis-je vous offrir un verre ? Lâcha-t-elle d’un petite voix maladroite. Elle n’attendit pas la réponse et tourna sa tête vers le serveur directement, morte de honte de se taper un gros bide. Ses joues prirent une teinte vermeille et elle sentit la chaleur envahir son visage.

Pendant qu’elle imaginait toutes les répliques possibles allant de l’indifférence pure à une réponse méprisante, elle finit le reste de son deuxième cognac d’une seule traite et commençait à sentir son corps se ramollir. Jane n’avait pas vraiment d’amis et les seuls contacts qu’elle avait avec d’autres êtres ne se limitaient qu’à des formalités : elle sentait combien il lui devenait difficile d’engager une simple discussion avec un inconnu. Sa solitude commençait à handicaper et à lui peser fortement... À force de vivre en hermite, rien de très étonnant et puis, son style loufoque n'arrangeait pas vraiment les choses ; dans la vie comme dans la mort, Jane était toujours en marge de la société.
Mais, ce n'était pas une raison suffisante pour s'appitoyer sur son sort...

- Serveur ? Un whisky pur malte, je vous prie.

Certainement, la soirée allait être très très longue.

[TOPIC EN ATTENTE]